Inquiétudes à la Maison de santé : les médecins intéressés se défilent

Plus d’un habitant de Groix a été confronté à la même expérience que celle à laquelle nous venons de procéder. Nous avons en effet tenté de prendre un rendez-vous à la maison de santé de Groix pour une consultation de médecine générale via le site internet de Kersanté. Les deux premières étapes qui consistent à prendre connaissance du lieu de consultation et ensuite de choisir l’onglet correspondant à la spécialité, en l’occurrence la médecine générale, se passent bien. A la troisième, ça se corse : il s’agit de choisir le nom d’un praticien. Et là, rien, aucun nom n’apparaît, contrairement à ce qui est proposé dans le centre Kersanté de Lorient où huit médecins sont disponibles. Vient alors le calendrier. Au moment où nous avons consulté le site de réservation (le 29 septembre), une seule journée était   proposée, le vendredi 1er octobre. Pour les autres jours du mois d’octobre, rien, et encore moins pour les mois à venir. Comment interpréter ce vide ?

Selon les informations que nous avons recueillies auprès des professionnels de santé de l’île, les candidats médecins pour occuper un poste à Groix via Kersanté ne se bousculent pas au portillon. Ou plus précisément, ils semblent peu séduits par le système dans lequel leur propose Kersanté d‘entrer après avoir posé leur candidature. Rappelons en effet que le salaire proposé comporte une part fixe et une autre variable calculée à partir du nombre de consultations. Ce qui revient à exercer une pression sur le médecin pour qu’il limite au maximum la durée de ses consultations pour remplir sa journée de travail et s’assurer un revenu comparable à celui d’un médecin libéral. A moins qu’il allonge exagérément sa journée de travail.  En outre, sur une consultation de secteur 1 à 26 euros, Kersanté retient 45% pour la rémunération de son service. Si à cela on ajoute le fonctionnement chaotique de l’administration que l’entreprise de services de santé a mise en place tel que chacun a pu le constater depuis le début du mois de juillet dernier, l’ensemble des conditions d’exercice n’est pas très séduisant. 

Il faut écouter les médecins généralistes qui ont exercé à Groix par le passé pour comprendre que pratiquer la médecine sur une île éloignée des médecins spécialistes et des installations techniques de diagnostic demande un retour aux fondamentaux de la médecine généraliste. Ici plus qu’ailleurs, le dialogue avec le patient est important pour établir un diagnostic fiable. Il faut en quelque sorte être un peu spécialiste de tout, et surtout ne pas être enfermé dans un carcan économique qui pousse le médecin à multiplier les consultations et en raccourcir la durée au strict minimum. Une pratique qui semble bien éloigné de ce que propose Kersanté.

Kersanté est-il la solution miracle ?

Bref, aujourd’hui, Kersanté est dans l’incapacité d’apporter une présence médicale durable, même à court terme sur l’île. D’où une question, légitime : envoyé dans l’urgence par l’ARS (Agence régionale de santé) pour répondre aux besoins sanitaires durant l’été, ce prestataire de services de santé est-il capable de mettre en place une solution sur le long terme ?

Autre point délicat, celui de l’organisation des gardes. Il y a quelques jours encore, l’APSIG (association des professionnels de santé de l’île de Groix) se montrait sereine, espérant un partenariat avec l’hôpital de Lorient. A ce jour, rien n’est encore fait, et l’espoir que les choses se débloquent dans les jours qui viennent est assez mince.

Pas de panique pour autant. « Nous ne sommes pas abandonnés» précise Frédéric Delange, président de l’APSIG. Tous les acteurs, ARS, Préfet, mairie et professionnels de santé travaillent à la recherche d’une solution durable. « Nous avons beaucoup de contacts avec des médecins qui seraient prêts à venir dans un schéma libéral accompagné de conditions confortables d’installation. » Pas de panique donc car, il est fort probable que le calendrier des rendez-vous se remplira d’un jour sur l’autre, maintenant néanmoins les patients dans un climat d’incertitude qui pourrait en angoisser certain. C’est compliqué, mais ça n’est pas rien. Quant aux urgence elles sont toujours assurées par le SMUR qui dépêche l’hélicoptère en cas de besoin. Mais l’avenir reste à construire.

Reste que la population de l’île manifeste un besoin pressant d’informations. A cet égard, l’ESSORT (Equipe de soins et d’organisation Territoriale) a pris l’initiative d’organiser une réunion publique soutenue par la mairie le 6 octobre prochain à la salle des fêtes de Groix, une initiative que nous élus municipaux et départementaux avons appelé de nos vœux depuis plusieurs semaines.  Cette réunion est conçue comme un moment d’échange entre les professionnels de la santé et la population. Ce moment important devrait permettre à chacun de prendre la mesure de toutes les hypothèses d’organisation du système de soins sur l’île.

Marie-José Mallet, Jean-Claude Jaillette, Victor Da Silva

Kersanté : radiographie d’une association à but non lucratif

Quelle est la nature de cet organisme qui a débarqué à la maison de santé en juillet dernier?

Kersanté est la marque des centres de santé de l’ADCS (Association pour le développement des centres de santé).  Son statut associatif à but non lucratif a été rendu obligatoire par une ordonnance de 2018 fixant le statut des centres de santé. Jusqu’à ce qu’elle prenne en charge la gestion de la maison de santé de Groix à partir de juillet 2021, l’ADCS disposait de quatre centres, l’un à Paris, un autre à Rennes, un autre à Lamballe, et enfin un autre à Lorient. Depuis le début 2021, Kersanté est soutenu par le groupe de promotion immobilière Office Santé, spécialisé dans la réalisation de maisons de santé à travers la France. En janvier 2021, le groupe présidé par Stéphane Guivarc’h, revendiquait une vingtaine de réalisations et en annonçait une quarantaine à venir. A cette date le Pdg a levé 15 millions d’euros de fonds, la deuxième levée de fonds depuis son lancement en 2014. En 2018 il avait déjà levé 2 millions d’euros. A son capital figurent des groupes comme Apivia Macif Mutuelle, MBA Mutuelle, Groupama Bretagne et le constructeur Trecobat. Outre des prestations immobilières, Office santé propose, à travers une filiale spécialisée, des services « libérateurs de temps médical» selon la plaquette de présentation. En 2020, Office santé a réalisé 17 millions d’euros de chiffre d’affaires contre 5 millions d’euros en 2018.

Les liens entre Kersanté et Office santé sont si étroits, que le médecin dépêché par Kersanté pour faire fonctionner la maison de santé de Groix – après le démarrage chaotique de l’été dernier conduisant à la démission des deux médecins salariés – n’est autre que la directrice des affaires médicale d’Office santé, la docteure Laurence Marrié. Dès son arrivée à la mi-septembre, cette dernière s’est attachée à (re)donner une image positive de Kersanté, déclarant  dans Ouest France (23/09/2021) : «Kersanté est une association loi 1901 à but non lucratif. Les médecins y sont salariés et travaillent à leur rythme, soit 15 à 30 minutes de consultation en fonction des patients et des pathologies. Aucun rendement ne leur est demandé. Il faut juste équilibrer les comptes. Si toutefois il y a des bénéfices, ils sont réinvestis dans du matériel ou du personnel – des assistantes médicales par exemple – pour libérer aux médecins encore plus de temps avec leurs patients quand cela est nécessaire. »

Aucun rendement demandé vraiment ? Formellement c’est exact. Mais l’existence dans la rémunération du médecin salarié de Kersanté d’une part variable calculée en fonction du nombre de consultations installe une pression forte sur le nombre de consultations journalières. Ce qui a comme conséquence soit d’augmenter la durée quotidienne du travail, soit de réduire la durée des consultations à leur minimum. Dire que c’est une manière détournée d’imposer un rendement ne serait que le produit d’un mauvais esprit…

Les Semeurs de Santé sont de retour à Groix.

Qui sont-ils ? 

Six partenaires qui proposent des actions de promotion de la santé en zones rurales et insulaires, en lien étroit avec les acteurs de ces communes : l’ARS, l’Escargot Migrateur, France Assos Santé, l’EHESP, Plateforme ETP et Cap autonomie santé.

L’ action des Semeurs de Santé se déploie sur Groix depuis 2018. Leur objectif est d’accompagner les initiatives favorisant le bien-être, le lien social et d’améliorer la santé sur les communes de Groix, Gourin et Scaër.

Ils s’inscrivent dans la démarche d’éducation thérapeutique du Pôle santé de Groix.

La réunion organisée le jeudi 30 septembre de 18h30 à 20h00 à la salle des fêtes aura pour thématique

De l’enfance à l’adolescence : prévention des conduites à risque.

Son objectif est d’échanger collectivement sur des constats, de partager sur les projets déjà en cours et d’imaginer des pistes d’action possibles qui pourraient être portées collectivement.

Il est nécessaire de s’inscrire au préalable par mail auprès de Claire Cornelissen, chargée de projet Cap autonomie santé : c.cornelissen@capautonomiesante.bzh.

La vérité sur la pénurie de médecins à Groix

A Groix, pour le commun de ses habitants, tout semblait aller pour le mieux en matière d’organisation des soins jusqu’à la mi-août de cette année. Médecins, dentiste, kinésithérapeute, orthophoniste, pharmaciens, infirmiers, opticiens, tous les professionnels de santé faisaient de leur mieux pour répondre aux besoins. Et, cerise sur le gâteau, depuis le début de l’année, une maison de santé flambant neuve construite par la collectivité donnait le sentiment qu’on entrait dans une ère nouvelle où la permanence des soins serait encore mieux assurée, où des spécialistes venus régulièrement du continent apporteraient leur expérience, où les moyens techniques et informatiques nouveaux amélioreraient les conditions de travail des praticiens. Mais déjà, en prêtant une oreille attentive, on pouvait percevoir que le surmenage gagnait les médecins et les infirmiers, en évident sous-effectif  aggravé par la crise de la COVID-19. Mais malgré les à-coups et les chaos, tout allait bon train grâce à l’action de l’Apsig (Association des professionnels de santé de l’île de Groix) présidée par le pharmacien Frédéric Delange qui a su ajuster l’organisation aux soubresauts des besoins.

Et voilà, qu’à la fin du mois d’août, un coup de tonnerre claque dans le ciel médical groisillon : les deux médecins pratiquant à l’année, Faustine Vuillat et Hélène Szczepanski ont « démissionné », selon le terme qui a parcouru l’île tel une trainée de poudre. Première surprise, de quelle structure les deux médecins peuvent-ils « démissionner », chacun – du moins celui qui n’est pas proche du milieu médical groisillon ou de la municipalité – ne voyant pas comment un médecin peut exercer son activité ailleurs que dans son cabinet, donc pour son propre compte. Alors démissionner… Fermer boutique, mettre la clé sous la porte, peut-être, mais démissionner ?

De plus en plus de médecins sont salariés

A dire vrai, l’exercice de la profession de médecin a beaucoup évolué depuis une vingtaine d’années. L’image du médecin de campagne arpentant son territoire de l’aube au crépuscule, été comme hiver, qu’il vente ou qu’il pleuve, est en passe de disparaître. Les jeunes médecins, qu’ils soient homme ou femme, aspirent à une qualité de vie différente, où travail et vie personnelle cohabitent harmonieusement, sans pour autant négliger leur mission. Pour y parvenir, certains cherchent à se regrouper afin de mutualiser les fonctions administratives et mettre en commun les équipements devenus trop onéreux. C’est ainsi qu’à Groix est née la maison médicale autour de trois médecins généralistes,et d’un dentiste. Eric Régénermel, André Romieux et et Pierre Lesage. D’autres, poussant plus loin encore le souci d’alléger leur pratique médicale des tâches administratives, préfèrent le salariat à l’exercice libéral avec un cabinet et une clientèle bien à soi. Sentant la demande grandir, des organisations – souvent sous forme associative à but non lucratif ce qui n’empêche pas la recherche du profit – ont fleuri, offrant en contrepartie d’un salaire régulier un service clé en main aux praticiens où ils assurent les tâches administratives, la prise de rendez-vous et surtout – tâche oh combien chronophage pour un praticien libéral – le recrutement des remplaçants ou des renforts dans les zones touristiques. A un inconvénient de taille près : le but non lucratif n’empêche pas la recherche de la rentabilité. Et l’on va voir combien cet élément pèse sur la crise que connaît Groix. Kersanté, émanation  de l’Association pour le développement des centres de santé, qui gère désormais la maison de santé de Groix est représentatif de ce nouveau courant. Implantée en Bretagne et à Paris 19ème, Kersanté aspire à un développement rapide.

Mais revenons à la « démission » de nos deux médecins groisillonnes. Si elles ont « démissionné » dans le courant du mois d’août, c’est qu’en réalité elles étaient devenues salariées de Kersanté depuis le 1er Juillet. Deux questions se posent dès lors. 1 – Avaient-elles fait ce choix en toute connaissance de cause ? 2 – Pourquoi ont-elles démissionné aussi rapidement et quels événements particulièrement graves ont -ils précipité leurs décisions ? Nous, élus d’opposition, avons cherché patiemment les réponses à ces questions qui trottent dans toutes les têtes groisillonnes.

Kersanté débarque dans l’urgence sur l’île

Dès le mois d’avril dernier, l’une des deux médecins encore dans l’exercice libéral, durement éprouvée par le rythme infernal de son travail – de trois plus un mi-temps du temps du trio Régénermel/Romieux/Lesage il y a une dizaine d’années, le nombre de médecins est passé à deux, alors que la fréquentation de l’île ne cesse d’augmenter – a fait part de son intention de prendre du champ. Devant la pénurie de médecins qui menaçait, l’ARS (Agence régionale de santé) a cherché une solution de remplacement dans l’urgence sans trouver de solution pérenne. C’est alors qu’au seuil de la saison estivale, l’Agence s’est tournée vers Kersanté qu’elle a missionnée pour recruter des médecins et organiser l’activité des médecins locaux. Et c’est ainsi que dans l’urgence, en quelques semaines, Kersanté a pris le contrôle de la maison de santé et salarié les deux médecins jusqu’alors libérales. Selon nos informations, l’ARS a dû bousculer le protocole d’agrément habituel, bien plus long d’ordinaire, pour être prêt au 1er juillet. Quant à Kersanté, habitué à monter des projets de maisons de santé de A jusqu’à Z, il a dû s’adapter sans pour autant avoir pris le temps de bien évaluer la situation particulière d’une île touristique. Combien de médecins pour la saison estivale, quelle durée de consultation, comment seraient gérées les urgences, quelle formation pour les assistantes, tout cela a été balayé à grande vitesse.

Pourquoi les deux médecins ont-elles démissionné aussi rapidement ? Une partie de la réponse se trouve dans ce qui a été énoncé précédemment : retard dans la formation du secrétariat, incompréhension des besoins durant la période estivale, retard dans le règlement du salaire, etc. Mais là n’est peut-être pas le plus important.

En effet, le contrat passé entre le médecin salarié et Kersanté prévoit que son salaire comporte une part fixe et une part variable établie selon le nombre de consultations réalisées. Moyennant quoi, pour s’assurer un revenu comparable à celui qu’il se verse en tant que praticien libéral, le médecin doit soit raccourcir la durée des consultations pour en réaliser un maximum dans sa journée de travail, soit allonger ses journées de travail, ce qui devient rapidement contradictoire avec l’objectif recherché d’amélioration de la qualité de sa vie personnelle. Autrement dit, sans l’annoncer formellement, Kersanté contraint ses salariés à réduire le temps de consultation au minimum, moins de 15 minutes selon nos informations.

Moralité : ne voulant pas se plier à cette loi d’airain, et déçues par les promesses  d’organisation idylliques sur le papier mais décevantes dans la réalité, nos deux médecins ont préféré rendre leur tablier.

Groix va-t-elle manquer de médecins

NON, en tout cas pas dans l’immédiat. Des solutions ont été trouvées pour le mois de septembre où un ancien médecin (Françoise Tattevin)  reprend du service une semaine par mois complétée par l’arrivée de médecins vacataires envoyés par Kersanté. Néanmoins, certains jours les gardes de nuit ne peuvent être assurées. Pour les urgences, un partenariat a été trouvé avec l’hôpital du Scorf à Lorient.Une inquiétude cependant : à ce jour, aucune vacation n’est prévue pour le mois d’octobre. Mais il reste deux semaines à Kersanté pour trouver des volontaires.

Que faire pour l’avenir? Nos propositions

Le problème est simple à poser, mais extrêmement difficile à résoudre. Groix, considérée par l’ARS comme un territoire fragile du fait de son éloignement des infrastructures techniques et de ses contraintes de transport pour rallier le continent, doit disposer d’un service médical performant et permanent. Au vu des difficultés rencontrées depuis début juillet par la mise en place du système Kersanté, chacun est en droit de se demander si cette organisation est en mesure d’offrir les prestations souhaitées et d’ajuster les effectifs de médecins aux besoins réels. Cet organisme peut-il se réformer et rapprocher sa pratique de ses promesses? Les élus d’opposition de Groix demandent que l’ARS et les professionnels de santé locaux accordent quelques semaines à l’opérateur pour s’adapter aux demandes locales et intégrer les éléments de contexte ilien. A défaut, il faudra envisager un autre mode d’organisation.

Ce nouveau mode pourrait être un retour à une médecine libérale exercée sous une forme collective et pluridisciplinaire, comme fonctionnant dans l’ancienne maison médicale. Charge à l’ARS mais aussi à tous les responsables locaux, municipalité en tête, de rendre les postes suffisamment attractifs notamment en ce qui concerne le logement des futurs médecins pour que les candidats médecins se laissent séduire par notre île. Nous soutiendrons toutes les initiatives allant dans ce sens et bénéfique à l’intérêt collectif.

Voilà à ce jour où en est la situation que l’APSIG semble bien maîtriser, malgré les aléas et les rebondissements quotidiens, ce dont nous les remercions chaleureusement. Retrouver à Groix une organisation des soins efficace est une urgence. Mais ce travail doit s’effectuer sans panique ni précipitation. Telle a été notre démarche. Se hâter lentement en quelque sorte. Dans les jours qui viendront, nous ne manquerons pas de revenir sur ce sujet vital.

Jean-Claude Jaillette, Marie José Mallet, Victor Da Silva